Contrairement à la perception que nous en avons, nous ne sommes pas à l’ère de la communication. Nous vivons au contraire dans l’ère de la séparation et de la division.
Au moment où j’écris ces lignes, je me trouve dans un appartement anonyme, au sommet d’une grande tour anonyme dressée dans le ciel vide d’étoiles de la nuit.
Je regarde par la fenêtre : je vois d’autres immeubles à perte de vue, avec des milliers de fenêtres derrière lesquelles des milliers d’autres personnes comme moi évoluent dans le petit carcan de béton leur appartement.
Demain matin, nous nous retrouverons tous ensemble dans cet autre carcan de métal et de verre qu’est le métro. Il s’y répétera la même scène que tous les jours : la foule pressée, les visages figés. Chacun enfermé dans le tunnel de ses pensées, à l’image des rames qui nous transportent et qui sont condamnées à tourner en rond dans le même trajet défini à l’avance.
Le métro nous amènera à l’ultime carcan de notre parcours, le bureau. Nous y exécuterons nos tâches, en donnant les signes de sérieux attendus par le système. Ponctualité. Rapports bien rédigés. Tenue impeccable. Smartphone à la mode. Penser à envoyer un e-mail pour se couvrir en cas de problème.
Pourtant, dans le silence de notre âme, une voix nous parlera d’une autre réalité. Cherchant à nous arracher au brouillard des désirs et des émotions artificielles, elle nous rappellera que nous sommes venus dans ce monde pour expérimenter quelque chose chose de différent. Qu’une autre existence est possible.
Mais cela aussi est prévu. Les systèmes d’ordre dans lesquels nous évoluons sont devenus si efficaces, si raffinés, qu’ils nous coupent de cette voix avant même qu’elle ait pu nous parvenir. Poster la photo du jour sur Facebook. Battre mon record à Candy Crush. Voir le dernier épisode de la série télé du moment.
Initialement, Internet devait être un réseau ouvert reposant sur une gouvernance participative globale. Mais au lieu de devenir une agora planétaire, il s’est transformé dans un gigantesque centre de divertissement qui dissipe et recycle l’énergie collective.
Et plus le monde qui nous entoure devient fou et effrayant, et plus nous nous blottissons dans le petit confort de nos routines quotidiennes, dans les mondes joyeux et colorés de la fiction, ignorant le cri intérieur qui cherche à atteindre la surface de notre conscience.
Peut-être alors que notre corps prendra le relais. Révolté par le stress que nous lui imposons, par l’absence d’amour, il cherchera à son tour à attirer notre attention en nous forçant à l’arrêt.
Mais là encore, d’autres réponses sont prévues pour cela. Le système médical interprétera ce signal comme une maladie, une simple gêne à éliminer. Cette fois-ci, ce sont des carcans chimiques qui nous seront appliqués pour neutraliser les symptômes. Et si notre corps persiste à crier sa révolte, que le simple mal d’estomac devient un ulcère, et que l’ulcère devient un cancer, la médecine, dans sa grande compassion, se contentera d’éliminer l’organe « malade ».
En d’autres termes, tous les angles sont couverts. Ils font cercle : éducation, santé, travail, divertissement. C’est une affaire qui tourne. Un mécanisme parfaitement huilé où chacun suit le plan qui lui est assigné.
Car contrairement à la perception que nous en avons, nous ne sommes pas à l’ère de la communication. Ce que nous appelons la communication est un flot de bruits et de parasites qui nous coupe les uns des autres, qui nous coupe de nous-mêmes. La véritable communication est une union des Cœurs : c’est une communion.
Nous vivons au contraire dans l’ère de la séparation et de la division.
En grec ancien, le terme diviser se dit : « bolos » et le terme à travers se dit « dia ». Par conséquent, celui qui règne à travers la division est le « Dia-Bolos ».
C’est-à-dire le Diable.
Le royaume du Diviseur
Il n’y aura pas de Grand Soir. Pas d’éveil collectif spontané. Les sursauts que nous manifestons aux attaques terroristes, aux dérèglements climatiques, à tout ce qui devrait nous libérer, alimente en réalité une Prison des Cœurs qui s’étend désormais au monde entier.
Nous pensons avoir complétement dépassé la pensée religieuse, mais au sens le plus profond du terme, nous vivons à l’ère du Diable, c’est-à-dire au moment où la division à atteint son optimum.
C’est même pire que cela : non seulement nous vivons à l’ère du Diable, mais il vit aussi en nous.
Car le Diable n’est pas le personnage grotesque représenté par les religions. C’est un dispositif mental que nous portons en nous et qui nous amène à diviser sans fin les choses pour les comprendre. Ce dispositif nous maintient en permanence dans l’illusion du contrôle, et nous amène à rater la véritable information, qui se présente à nous par la voie de l’intuition et du cœur.
Nous sommes, collectivement, devenus une partie du Diable. Il s’exprime en nous par la froideur de nos pensées, par notre indifférence, par notre possessivité. Cette fausse connaissance domine à ce point nos vies que nous ne réalisons même plus ce qui nous a été fait.
Le Diable nous prive d’empathie. Il nous rend isolés. En grec ancien, ce terme se dit idios. Il indique la singularité, la particularité en tant qu’elle est privée du lien aux autres. En d’autres termes, le Diable nous transforme en idiots, qui vivent dans une idiocratie.
Les preuves en sont partout présentes : nous sommes en train de détruire l’environnement qui nous permet de survivre en tant qu’espèce, mais nous sommes devenus tellement idiots que nous continuons à avancer sur cette voie, alors même que nous voyons qu’elle conduit à un précipice.
C’est pourquoi il n’y aura pas de Grand Soir. Pas d’éveil collectif spontané. Les sursauts que nous manifestons aux attaques terroristes, aux dérèglements climatiques, à tout ce qui devrait nous libérer, alimente en réalité une Prison des Cœurs qui s’étend désormais au monde entier. La peur est devenue trop présente, trop forte, trop intériorisée par la majorité.
Il y a eu de magnifiques appels à la paix et à la fraternité dans les années 30. Une décennie après, des usines au cœur de l’Europe tuaient à la chaîne des êtres humains et les transformaient en pains de savon. Il y a eu de magnifiques appels à la paix et la fraternité après la seconde guerre, cette fois ponctués d’un « plus jamais ça » impératif et définitif. Mais les horreurs ont continué et des camps de concentration sont même réapparus eu plein cœur de l’Europe pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ils les produiront encore.
Le Diable a déjà gagné. Il nous a plongés dans une somnolence hypnotique, une indifférence fébrile, ou chacun est si concentré sur la préservation de son petit univers qu’il en vient à accepter toutes les compromissions plutôt que de le voir remis en question.
Si le fascisme revenait au pouvoir, la résistance collective serait encore plus faible que dans le passé. Toujours prêts à clamer notre révolte devant l’injustice, nous ne réalisons même plus que nous avons été conditionnés à l’accepter au moment où elle se présentera à nous, sans discuter, comme une chose parfaitement normale.
Mais alors, comment faire ? Comment lutter ?
La danse amoureuse de la lumière et des ténèbres
La véritable guérison se produira lorsque viendront des êtres capables d’affronter l’épreuve du pouvoir et de rester humains.
La réponse est très simple : ne luttez plus contre le Diable. Dansez avez lui.
La principale raison pour laquelle les mêmes schémas se sont répétés jusqu’ici est que nous avons refusé de regarder le mal dans les yeux. Nous l’avons rejeté en dehors de nous, et il a pris la dimension d’une ombre collective, se reconstituant à chaque fois que nous avons pensé en finir avec lui. Nous avons refusé de compromettre notre pureté en nous salissant les mains, et c’est cela plus que tout autre chose qui nous a maintenus dans l’impuissance.
Car on ne lutte pas en restant pur.
Les stratèges qui contrôlent le système se sont coupés de leur cœur. Ils ne ressentent plus, et c’est bien pourquoi ils sont si efficaces quand il s’agit de s’emparer du pouvoir. Mais leur pouvoir est stérile : faute d’être nourri d’amour, il ne produit que souffrance et larmes.
Par conséquent, éliminez de votre esprit l’idée que le pouvoir corrompt. Le pouvoir ne corrompt pas : il attire les natures corrompues. Tant que les âmes lumineuses s’en tiendront éloignées, il restera une fontaine amère, un graal sombre qui va continuer à déverser sur le monde un flot ininterrompu de ténèbres.
La véritable guérison se produira lorsque viendront des êtres capables d’affronter l’épreuve du pouvoir et de rester humains.
Pour la première fois, des changements significatifs sont en train d’apparaître : des écoles sans professeurs, des entreprises sans chef, des banques sans banquier, libérées des circuits financiers traditionnels. Oui, l’intelligence collective prend corps dans le monde.
Mais d’où croyez-vous que viennent les changements ? Ils ont été rendus possibles par des êtres qui ont dansé avec le Diable. Qui ont appris à évoluer au sein du système, à utiliser ses arcanes et ses techniques pour créer des ruptures radicales. Ils sont les véritables transformateurs de notre époque.
Vous voulez faire la différence ? Alors apprenez la façon dont le Diable agit. Apprenez la façon dont les masses sont manipulées. Dont le marketing fonctionne. Faites l’effort de comprendre comment les dirigeants raisonnent. Ne rejetez plus l’argent comme quelque chose de maléfique.
Et simultanément, restez toujours dans votre cœur. Faites de lui votre guide et votre protecteur. Il vous donnera la force de tout réunir, de tout dépasser.
Devenez détaché de tout, et révolté face à tout. Apprenez à frapper avec amour, à manipuler avec amour, à gagner de l’argent avec amour. Tenez-vous à l’équinoxe de l’Ange et du Démon, apprenez à respirer cet air paradoxal, et vos actions rentreront en résonance avec le Monde.
Les véritables transformations sont encore à venir : nous vivons dans des systèmes politiques qui ont été conçus il y a plus de deux millénaires et demi. Mais la façon dont les nouvelles générations prendront des décisions pour leur destin collectif seront différentes de tout ce que nous avons connu.
Le digital donnera naissance à de nouvelles formes d’organisations, qui reposeront sur le travail et la connaissance distribuée. Ce sera à la fois des entreprises collectives et des gouvernements en ligne, où les prises de décisions se feront de façon continue et qui fonctionneront avec une intelligence et une réactivité que nous n’imaginons même pas possibles. La politique deviendra un jeu collectif, et ce jeu changera la face du monde.
Cette énergie collective bouillonne. Mais nous sommes encore beaucoup trop sages, trop bien-pensants, trop tournés vers les formes du passé pour la libérer efficacement.
Osons tout. Bousculons tout. Libérons un vent de folie créatrice. Nous le devons à ce monde nouveau prêt à advenir.