Que peut l’intelligence collective pour votre organisation ?

Le tout est plus grand que la somme des parties

L’intelligence collective peut être un fantastique levier pour libérer la créativité, générer de l’engagement et accroître — parfois de façon prodigieuse — les performances de l’entreprise.

Plus largement, L’intelligence collective est sans doute la seule chose qui puisse permettre à l’humanité de surmonter les défis auxquelles elle est confrontée : les injustices sociales, le retour du fanatisme, la détresse écologique ont pris une telle ampleur aujourd’hui que plus aucune institution ne peut prétendre les résoudre. Seul un sursaut collectif peut encore faire la différence.

Mais avant de décrire plus avant ses bénéfices, prenons un instant pour en donner une définition.

Quand on parle d’intelligence collective, on fait référence à la capacité qu’à un groupe à s’auto-organiser et à faire preuve d’un comportement global qui témoigne d’une aptitude cognitive plus importante que celle de n’importe laquelle des individus qui le composent.

Ce phénomène se rattache à ce que la science appelle des propriétés émergentes. Ces dernières s’observent à tous les niveaux, du monde microscopique au monde macroscopique. Par exemple, lorsqu’on combine deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène, cela produit quelque chose de fondamentalement différent de ces éléments pris séparément : de l’eau.

De la même façon, lorsque deux êtres humains interagissent, ils manifestent un comportement différent que lorsqu’ils sont seuls. Ce phénomène devient encore plus marqué lorsque le nombre grandit et donne naissance à une organisation. Celle-ci obéit à des lois propres, qui sont distinctes de la psychologie individuelle. Parmi les premiers théoriciens qui ont tenté de modéliser ces lois, on retrouve Gustave le Bon et Gabriel Tarde, qui sont les pères de la psychologie collective moderne.

Les phénomènes collectifs peuvent aboutir à des manifestations négatives : c’est ce qui se passe notamment dans le cas de l’hystérie collective, où le fait d’être dans une foule désinhibe les individus et les amène à commettre des actes de violence qu’ils seraient incapable d’accomplir en temps normal.

Ils peuvent également aboutir à des manifestations positives, qu’on peut observer dans n’importe quel sport collectif. Dans une équipe, un joueur sera petit et rapide, un autre fort et endurant ; un autre aura un excellent sens tactique, et un autre aura la capacité à motiver ses camarades. Séparément, ces caractéristiques trouvent vite leurs limites. Cependant, leur combinaison forme quelque chose de plus important et de plus efficient que la simple somme des parties. Les pilotes de chasses qui volent en formation acrobatique expliquent ainsi qu’ils ont parfois le sentiment de devenir un véritable organisme collectif, capable de manifester un comportement clairvoyant sans que l’information ne suive un chemin hiérarchique entre eux.

L’intelligence collective existe également de façon omniprésente dans le monde animal : les fourmis ou les abeilles, par exemple, démontrent un incroyable degré d’intelligence dans leur organisation, alors même que les individus coupés du collectif se révèlent inaptes. Ce même phénomène s’observe chez les mammifères dans les meutes de loup, chez les singes, les oiseaux, etc.

Cependant, alors que l’intelligence collective a, dans la nature, un caractère mécanique et prévisible qui découle de l’instinct, elle dépend chez l’homme d’une possibilité culturelle.

Nous vivons à une époque où l’individualisme et la compétition prédominent, mais dans les premiers âges de l’humanité, la capacité à coopérer était une condition vitale de survie pour le groupe. Ce n’est que lorsque nos ancêtres ont commencé à s’affranchir des contraintes de leur environnement qu’ont commencé à s’affirmer de façon forte les notions de propriété, de hiérarchie et de territoire. L’empathie est donc inscrite dans les niveaux les plus profonds de notre être. Toutefois, elle entre en conflit constant avec des programmes comportementaux qui sont apparus ultérieurement et qui favorisent les stratégies individualistes.

Pour faire preuve d’intelligence collective, une organisation humaine a donc besoin de réunir certains facteurs-clé. Ces derniers peuvent être crées par une ingénierie organisationnelle, mais aussi parce que le contexte l’exige. Par exemple à l’occasion d’une crise…

 

Quelques exemples d’intelligence collective

« Houston… We’ve had a problem »

L’équipage d’Apollo XIII

Nous sommes le 14 avril 1970. A 3h du matin, un réservoir d’oxygène du module de service Apollo explose lors du trajet de celui-ci vers la Lune.

En l’espace de quelques secondes, cet accident transforme la mission Apollo en une course contre la montre pour ramener les membres de l’équipage sains et saufs sur Terre.

Au départ, les probabilités d’y parvenir sont extrêmement faibles : sans oxygène, les 3 hommes enfermés dans la navette n’ont presque aucun moyen de survivre.

Une première constatation s’impose : il est impossible de faire demi-tour. La seule stratégie possible est de poursuivre le voyage jusqu’à la Lune est de calculer exactement la trajectoire du module spatial pour qu’il rentre dans l’orbite lunaire et revienne sur Terre.

Le module principal étant devenu inhabitable, les trois astronautes se réfugient dans le module lunaire Aquarius. Celui-ci n’est pas fait pour abriter la vie de façon durable, et afin de conserver l’énergie, 80% des dispositifs électriques sont coupés. La température tombe à -9 C°, le taux de CO² augmente rapidement. Les 3 hommes risquent de mourir étouffés.

C’est alors que les ingénieurs de la NASA bricolent dans un temps record un filtre à air qui leur permet d’éliminer l’excès de CO² :

Finalement, la navette entre dans l’atmosphère et les 3 astronautes arrivent à sauver leur vie en enclenchant progressivement les systèmes et en réintégrant le module principal au bon moment…

Cette incroyable tour de force n’a été rendu possible que par l’extraordinaire inventivité des équipes de la NASA. On connaît les innovations montrées dans le film Apollo 13, mais celles-ci ont été présentes sur tous les plans. Par exemple, dans la mesure où les communications étaient limitées et coûteuses en énergie, la NASA a développé dans le cadre d’Apollo 13 un algorithme de compression qui est l’ancêtre du MP3 actuel !

Mais que s’est-il passé au juste pour que cet exploit soit possible ? En principe, un centre spatial obéit à des règles et à une hiérarchie très stricte, basée sur la spécialisation extrême des tâches dans un secteur de pointe. Or, pendant les 3 jours qui ont séparé l’explosion de la réserve d’oxygène de l’amerrissage d’Apollo dans les eaux du Pacifique, les silos qui existaient entre les individus, les métiers et les expertises au centre de Huston ont disparu pour laisser place à un cerveau collectif qui n’a plus existé que dans un seul but : sauver l’équipage.

Cette histoire résume parfaitement les conditions nécessaires à l’intelligence collective : une raison d’être puissante, qui permet de mettre de côté les problèmes d’ego et qui réveille en chacun le désir de donner le meilleur de lui-même pour atteindre un objectif commun.

Imaginez si les collaborateurs de votre organisation étaient capables d’avoir le même niveau d’implication au quotidien. Il n’y aurait plus un seul obstacle insurmontable : tout deviendrait possible !

Peut-être m’objectez-vous qu’Apollo 13 est un exemple exceptionnel et qu’en dehors d’un contexte de crise, il est impossible d’atteindre le même niveau d’engagement et de créativité.

Mais en réalité, il existe de nombreuses entreprises qui ont su placer l’intelligence collective au centre de leur fonctionnement. Un exemple frappant est donné par Harley Davidson. Alors que la marque est bord de la faillite en 1983, la direction met en place un système audacieux qui permet non seulement aux collaborateurs de proposer des idées innovantes, mais aussi de les réaliser ensemble.

Cette méthode donne des résultats stupéfiants : un des salariés a monté un club Harly Davidson. A l’époque, ceux-ci sont confidentiels et ne concernent que quelques milliers d’afficionados. Mais ce collaborateur pressent que ces clubs peuvent contribuer à faire connaître l’entreprise, et il propose donc de les promouvoir auprès des clients. Aujourd’hui, les clubs Harley Davidson rassemblent plus de 2 millions de membres à travers la planète et sont l’un des principaux facteurs de popularité de la marque. Ce n’est pas tout : dans la foulée, les collaborateurs inventent un nouveau design pour la Harley Davidson et conçoivent un nouvel arbre de transmission, plus performant. Toutes ces innovations redressent l’entreprise qui renoue avec la croissance.

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L’illustration donnée par Harley Davidson n’est qu’une parmi beaucoup d’autres : on pourrait ici citer le bouton « like » de Facebook, dont l’idée a émergé d’un hackathon interne, mais aussi toutes les entreprises qui sont entrée dans des démarches d’agilité collective et qui ont produits des innovations qui ont profondément redynamisé l’entreprise.

Cela vaut aussi pour les collectivités : dans la ville japonaise d’Iwate, le maire a trouvé une solution originale à la crise économique. En 2001, il invite ses 8.800 administrés à proposer des idées pour faire de leur ville une « slow city », qui replace la relation humaine au centre des choses. 10 ans après, Iwate devient un centre touristique pionner du tourisme vert et des énergies renouvelables qui attire les visiteurs du monde entier.

 

Transformer le dirigeant pour transformer le collectif

Mais alors, si l’intelligence collective présente de tels bénéfices, pourquoi est-ce que toutes les organisations ne font pas systématiquement appel à elle ?

Une partie de la réponse tient au fait qu’il s’agit d’une science très jeune, surtout quand on la compare à sa sœur jumelle, la manipulation des masses, qui peut pour sa part se prévaloir d’un patrimoine de plusieurs siècles d’expérience.

On peut en effet considérer que l’intelligence collective est un sous-ensemble de la psychologie collective. Or, si la psychologie collective est en soi une approche neutre, qui peut aussi bien mener à des applications libérantes qu’aliénantes, c’est très largement la seconde catégorie qui a prédominé jusqu’ici. La politique, puis à la suite le marketing, ont accumulé un patrimoine impressionnant de connaissances quant à la façon de manipuler les masses et d’orienter les décisions collectives tout en donnant à chacun l’impression de choisir librement.

Cette façon de considérer le groupe humain comme un animal stupide, potentiellement dangereux et qu’il faut guider pour son propre bien à largement imprégné toute la société. Peu de gens comprennent qu’il existe, derrière cette représentation, un potentiel inexploité qui est en réalité la solution à la plupart de nos problèmes sociaux et sociétaux.

De ce point de vue, l’avenir de l’intelligence collective repose en grande partie sur le regard des dirigeants. Aucune organisation ne peut aller au-delà de la vision de ses leaders : si ces derniers sont incapables de faire confiance aux collaborateurs, l’intelligence collective ne pourra jamais se développer au-delà de petites poches.

C’est pourquoi la sensibilisation des dirigeants est un préalable indispensable. A vrai dire, c’est même difficile d’imaginer comment un leader peut aujourd’hui prétendre diriger sans être un minimum formé à l’intelligence collective !

Il s’agit d’un exercice qui n’a rien de simple, car le premier réflexe de la plupart des dirigeants actuels est de résoudre les problèmes à la place des collaborateurs. Ils vivent fréquemment dans le syndrome du super-héros car c’est ainsi qu’ils ont le sentiment d’exister au sein de l’organisation.

Pour faire évoluer cette conscience, il faut donc proposer aux comités de direction des exercices pratiques qui permettent de comprendre par l’expérience les bénéfices concrets et immédiats que peut leur apporter l’intelligence collaborative.

Une fois qu’ils ont fait cette expérience pour eux-mêmes, en mesurant ce qu’elle peut leur générer à la fois en termes de développement personnel et en efficacité opérationnelle, il devient possible de les amener à l’étape suivante, qui est de la développer dans l’organisation elle-même.

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Dans ce domaine, le digital peut apporter des solutions très utiles pour mettre en place des plateformes d’idéation collaborative, des groupes projet, des programmes intrapreneuriaux, des budgets participatifs, du feedback en continu, des primes collectives, etc.

De l’autre côté du miroir

Il faut toutefois bien comprendre que faire naître l’intelligence collective dans une organisation ne revient pas à faire un simple « upgrade du logiciel organisationnel ».

Beaucoup d’entreprises qui se transforment cherchent à développer le collaboratif, mais elles le font sur un mode plus ou moins directif, ce qui entraîne des injonctions paradoxales.

En réalité, développer l’intelligence collective revient à passer de l’autre côté du miroir et à découvrir un nouvel univers, où il n’y a plus de certitudes, mais aussi où le champ des possibles est incomparablement plus vaste.

Pour être performants, les collaborateurs ont à la fois besoin de comprendre leur mission immédiate et d’avoir les moyens concrets de la réaliser, mais aussi d’adhérer à une vision plus globale qui est pour eux source de fierté et d’implication. C’est la condition pour que toutes les entités de production d’une organisation fonctionnent de façon harmonieuse, et pas simplement comme un agrégat dont la seule unité consiste dans un logo et un slogan.

Plus un collaborateur comprend les enjeux globaux de l’entreprise, plus il est à même d’anticiper les besoins (qu’il s’agisse des besoins internes mais aussi les besoins des clients) et d’agir de façon solidaire avec les autres entités, business units et services. Inversement, moins il raisonne de façon globale, et moins il sera capable de s’adapter. Or, la capacité à apprendre et à s’adapter de soi-même va être la qualité-clé de l’entreprise de demain.

De la même façon, les employés doivent être encouragés à exprimer leur point de vue : la vision est d’autant plus facilement assimilée qu’elle est co-construite. Ils doivent sentir qu’ils ont un impact sur l’environnement de travail.

Cependant, une telle démarche s’inscrit dans le modèle de pensée qui a jusqu’ici présidé à l’ère industrielle, qui consiste à considérer l’organisation d’un point de vue mécaniste, comme une machine qu’il s’agit simplement de régler différemment pour atteindre un objectif prédéterminé.

Le premier enjeu est de sortir de ce mode de pensée : les êtres humains ne sont pas des pièces usinées que l’on peut faire entrer dans des cases pour maintenir l’organisation dans un illusoire sentiment de contrôle et de sécurité.

C’est la même chose que dans la physique des particules, où il est impossible de connaître simultanément la position d’un atome et sa destination finale. L’intelligence collective suppose d’amener l’organisation dans un état fluide qui la rend imprévisible considérée dans l’instant, mais qui lui donne en échange la capacité à s’adapter pour atteindre son objectif. C’est un arbitrage entre le trajet et le projet.

Or, comme le monde devient toujours plus fluctuant, le trajet va être de moins en moins important, et la seule façon de réaliser le projet de l’organisation va consister à faire confiance au collectif pour qu’il s’adapte et innove en permanence. C’est donc bien sur le projet qu’il s’agit de miser !

C’est la marque des leaders de demain de comprendre ce principe et de cesser de se comporter en surhommes ayant toutes les réponses pour prendre une position de « coachs » de l’organisation, dont le principal objectif est de faire grandir humainement les collaborateurs et libérer tout le potentiel du collectif.