Partager la publication "Démocratie augmentée : 7 propositions pour réinventer la politique"
Cet article est la suite de « Et si Platon avait monté une startup ? ». Il examine sept propositions simples qui permettraient de révolutionner notre modèle politique actuel grâce au mariage de l’intelligence collective et du digital.
1. Voter pour des projets plutôt que pour des candidats.
Le système politique actuel force les électeurs à choisir un candidat et le programme qu’il/elle représente, même s’ils sont en désaccord avec le comportement du candidat ou certains points de son programme. Ce système encourage le culte de la personnalité et la logique des partis, qui s’opposent de façon souvent stérile. Quant au programme, il est le plus souvent oublié quelques mois après l’élection.
Plutôt que de voter pour un individu, nous pourrions passer à un système où les citoyens votent pour un projet. Ils choisissent via un questionnaire les grandes orientations qu’ils veulent donner à la société dans le champ du travail, de l’éducation, de la santé, etc.
Ils sélectionnent ensuite les candidats en fonction de leur capacité à porter ce projet de société choisi en commun. Les candidats deviennent des “directeurs de projet” plus facilement remplaçables que dans le système actuel et le projet sociétal commun devient le véritable centre de gravité de la vie citoyenne.
2. Transformer une partie des impôts en budget participatifs locaux.
Le système actuel où l’argent public est totalement contrôlé par l’Etat déresponsabilise les citoyens qui ne voient pas la connexion entre leur contribution et l’impact social qu’elle génère. Les responsables qui décident de l’emploi des fonds publics sont souvent déconnectés des réalités de terrain, et au final, la culture des Communs — qui a joué un rôle si important dans le passé de la France — est aujourd’hui plus amoindrie que jamais.
En mettant 10% du montant des impôts à disposition des citoyens sous forme de budgets participatifs, il serait possible de redonner le sens du bien commun au collectif. Les citoyens seraient appelés à proposer des projets sur le plan local ou national et à financer les projets qu’ils veulent voir réaliser en priorité. Les citoyens qui ont porté les projets en question peuvent aussi se proposer pour les réaliser afin de générer de l’emploi.
3. Décider des lois par la démocratie directe
Les lois sont devenues plus complexes que jamais. Cette complexité sert uniquement les individus et les organisations les plus riches qui peuvent la manipuler à leur profit en s’assurant les services de spécialistes capable de la comprendre. Comme le disait Tacite, « Coruptissima civitate plurimae leges » : la cité la plus corrompue est celle qui a le plus de lois.
Or, le législatif doit par définition être compréhensible par n’importe qui, puisque les lois doivent s’appliquer à tout le monde de la même manière.
Une solution possible est de rétablir un circuit direct entre les citoyens et les organes législatifs. Le mouvement https://www.mavoix.info/ en donne un excellent exemple : les citoyens s’informent d’un projet de loi, en débattent et votent via une plateforme en ligne. Ensuite, des députés choisis au hasard parmi les citoyens s’engagent à voter exactement en fonction du collectif. Par exemple, si 50% des citoyens votent pour une loi, 40% contre et 10% s’abstiennent et qu’il y a 10 députés qui représentent le mouvement à l’Assemblée, 5 députés voteront pour, 4 contre et 1 s’abstiendra.
Ce type d’approche peut permettre de faire participer le collectif aux décisions au-delà du mandat donné initialement aux représentants.
4. Faire émerger de nouvelles solutions par des chambres citoyennes
Les mesures proposées précédemment ne prennent pleinement leur sens que si le collectif des citoyens est capable de proposer des solutions originales aux problèmes rencontrés par la société. Aujourd’hui, l’analyse des problèmes est confiée à quelques spécialistes : il est temps de le confier à l’intelligence collective.
Une solution possible est de coupler les plateformes digitales de discussion avec des chambres citoyennes au niveau des territoires. Ces chambres rassemblent plusieurs centaines de citoyens et reflètent ainsi la richesse de points de vue présents dans la société. Elles se réunissent chaque mois autour d’une thématique pour faire émerger des solutions innovantes dans le champ de l’économie, de l’emploi, de l’éducation, de la santé, de l’énergie, etc.
Elles permettent de construire des plans d’actions concrets et de réduire progressivement la complexité inutile des lois pour les ramener à une dimension de bon sens et de bien commun.
5. Créer des lieux pour le partage et le développement des Communs
Par contraste avec le parc public qui illustre bien la démocratie représentative où les citoyens ne se sentent plus responsables du bien commun, la démocratie directe est illustrée par le jardin partagé.
La France manque de lieux de rencontre où les citoyens peuvent échanger, créer expérimenter, et faire ainsi grandir de nouvelles idées et une société nouvelle.
Il me semble plus indispensable que jamais d’ouvrir à l’échelle locale des lieux dédiés à l’échange pair à pair. Chacun pourrait venir pour partager une expérience, proposer une idée pour créer une entreprise, découvrir un métier, apprendre une pratique, faire du codéveloppement et fabriquer des biens communs allant de la création d’un jardin partagé à la création d’un logiciel open source.
6. Valoriser la création de valeur sociale par un indice contributif
Le système économique actuel encourage l’individualisme et l’égoïsme plus que la coopération et l’entraide.
Les Français qui s’impliquent dans la vie collective en participant à l’ensemble des dispositifs décrits dans les mesures précédentes pourraient voir leur engagement matérialisé par un “indice contributif” qui sera restitué sous forme ludique dans un “profil augmenté” accessible en ligne inspiré des jeux vidéo. Cet indice fonctionne comme une monnaie d’entraide. Cette monnaie sera générée par des actions positives pour la société, et pourra être dépensée sous forme de droits supplémentaires (indemnités, droit formation, etc.) ou de ressources. Elle s’inscrit également dans la vision initiale du Compte Personnel d’Activité qui vise à associer la création de droit aux individus et à la valeur sociale qu’ils créent.
7. Développer une écocitoyenneté mondiale
Le découpage territorial actuel est fait selon une logique purement administrative et superpose trop de couches. Il ne reflète pas l’identité des territoires. Quant à la conscience supranationale, elle n’est pas assez développée et encore trop peu d’humains se sentent véritablement « citoyens du Monde ».
Il s’agit donc d’incarner le principe de subsidiarité en donnant du pouvoir aux plus petits éléments du système capable de décider, mais aussi d’étendre la conscience citoyenne au-delà des frontières nationales.
Tant que le collectif sera incapable de peser à un niveau mondial, il continuera à y avoir des Etats et des corporations qui violeront les droits humains, qui pollueront et qui s’empareront des ressources en misant sur l’apathie de la majorité et des autres Etats.
L’aboutissement logique de la vision que je présente ici est la mise en place d’une démocratie directe au niveau mondial. Aujourd’hui, on compte non loin de 200 pays dans le monde, et en pratique, cela reviendrait à considérer qu’Internet pourrait devenir un jour devenir le 200ème, fonctionnant comme un Etat dématérialisé dont tous les internautes seraient des citoyens œuvrant ensemble pour résoudre les problèmes devant desquels les Etats classiques sont paralysés.
La réalité de demain commence avec le rêve d’aujourd’hui
L’ensemble des mesures que je décris ici peuvent sembler utopiques. En réalité, elles sont facilement réalisables, du moins sur un plan technique. Par contre, elles demandent de revoir complètement les cartes mentales que nous utilisons pour envisager le fonctionnement de la vie citoyenne, en particulier l’identification entre démocratie et représentation, qui sont en réalité deux concepts distincts et qui vont à présent se révéler de plus en plus contradictoires avec l’apparition d’outils qui permettent une véritable démocratie directe.
Il est illusoire de penser que le système puisse se réformer lui-même de l’intérieur, et comme dans l’ensemble des autres domaines qui ont été transformés par Internet, le changement sera amené par les civictechs, c’est-à-dire des technologies telles que DemocracyOS, Engage, Loomio, Voxe, Brigade, etc., qui sont en passe de réinventer la politique, par exemple en permettant de comparer les programmes et de mesurer leur taux d’accomplissement, de faire des reférendums permanents, de lancer des actions citoyennes, de gérer la vie politique locale, etc.
Cependant, cela ne suffira pas. On me demande parfois pourquoi, en tant que spécialiste de l’innovation RH, je m’intéresse autant à la question de la politique. C’est parce que je considère que c’est la même question. A mon sens, le seul et unique objectif des innovations RH est de libérer le potentiel du collectif, qui lui seul peut trouver les solutions à des problèmes qui nous dépassent individuellement.
Nous sommes dans une situation où les inégalités économiques, les injustices sociales, la détresse écologique sont devenues pire que jamais. Cette crise exacerbe les tensions partout sur la planète, préparant des conflits pour le contrôle des ressources qui risquent d’entraîner toute l’humanité dans un cauchemar éveillé.
La situation est devenue si grave qu’elle ne peut plus être résolue par des individus, des organisations ou des gouvernements seuls. Or, on ne peut pas transformer les individus sans transformer les organisations où ils travaillent, et on ne peut pas transformer les organisations où ils travaillent sans transformer les sociétés où ils vivent. Tout est lié.
Et même si les civitechs arrivent à créer de nouveaux circuits de gouvernance, il restera à trouver les leviers d’engagement pour construire des communautés et les développer afin d’en faire des écosystèmes agissants et apprenants, ce qui est un sujet de développement du capital humain. C’est d’ailleurs pourquoi les solutions développées par les startups de l’innovation RH incluent de plus en plus des dimensions de consultation et d’action collaborative.
Il y a des gens de bonne volonté partout : la seule chose qui leur manque aujourd’hui, ce sont des outils pour transformer ce potentiel d’action positive dans une réalité.